Introduction
L'enseignement est un art qui transcende les frontières, un moyen de transmettre des savoirs, des valeurs et une vision du monde aux générations futures. Pourtant, lorsqu'un enseignant libanais se trouve face à des jeunes d'une autre culture, la tâche s'avère bien plus complexe qu'elle ne le semble. Malgré une croyance sincère en la citoyenneté du monde, il existe des limites à l'universalité de l'enseignement, surtout lorsqu'il s'agit de modeler les esprits des jeunes selon un modèle culturel spécifique.
L'histoire commune des Libanais : Un héritage unique
Le Liban, pays de contradictions et de résilience, porte en lui un héritage profondément marqué par des siècles d'histoire, de conflits, et de réconciliation. Les Libanais partagent une mémoire collective façonnée par des épreuves communes, qu'il s'agisse de la guerre civile, des conflits régionaux, ou de la lutte constante pour maintenir une identité nationale dans un contexte de diversité religieuse et culturelle. Cette histoire partagée crée un socle commun sur lequel les enseignants peuvent s'appuyer pour transmettre des valeurs, des réflexions, et un sentiment d'appartenance.
En tant qu'enseignant libanais, il est naturel de puiser dans cette richesse historique pour guider les jeunes esprits. Nous transmettons non seulement des connaissances académiques, mais aussi des leçons de vie ancrées dans notre propre expérience collective. L'identité libanaise, forgée dans l'adversité et la complexité, devient ainsi un modèle éducatif unique et profondément ancré.
La difficulté de transmettre une identité à l'étranger
Lorsque j'ai décidé d'enseigner aux Émirats Arabes Unis, dans une école suivant le système américain, je croyais fermement à l'idée que l'éducation pouvait être universelle. Cependant, cette expérience a rapidement révélé les défis inhérents à l'enseignement dans un contexte culturel étranger. La diversité culturelle des Émirats, avec ses populations venues du monde entier, crée un environnement où les identités se mélangent, mais ne s'intègrent pas toujours de manière homogène.
Dans ce système éducatif, les élèves étaient habitués à une approche plus facile et essentiellement orale, très différente de celle du système libanais et du système français, dans lesquels j'avais évolué. Ces élèves, souvent gâtés, se comportaient parfois comme s'ils étaient les "boss" de leurs enseignants, ce qui contrastait fortement avec le respect et la discipline qui sont des piliers de l'éducation libanaise et française. Enseigner dans ce contexte s'est avéré plus difficile que prévu.
J'ai rapidement réalisé que les valeurs et les références culturelles que je tentais de transmettre ne résonnaient pas de la même manière avec mes élèves qu'elles le faisaient au Liban ou dans le cadre structuré du système français. Les jeunes que j'avais en face de moi avaient une réalité différente, des attentes différentes, et une identité en construction qui ne correspondait pas au modèle libanais et français que je portais en moi.
Les limites de l'universalité
Malgré mes efforts pour m'adapter, pour comprendre et intégrer les différences culturelles, l'expérience fut, en fin de compte, un échec. Je me suis rendu compte qu'en cherchant à inculquer des valeurs libanaises et françaises, je risquais de passer à côté de l'essentiel : comprendre et respecter les réalités culturelles de mes élèves. Le modèle éducatif libanais, bien que précieux et pertinent dans son contexte, ne pouvait être simplement transposé dans un autre environnement culturel sans perdre de sa pertinence et de son efficacité.
Cette expérience m'a prouvé que l'enseignement est profondément lié à l'identité culturelle de l'enseignant et de ses élèves. Un professeur libanais, malgré sa bonne volonté, façonne inévitablement ses élèves selon le modèle libanais, un modèle forgé par l'histoire et les épreuves communes de notre peuple. De même, le cadre rigoureux du système français, auquel j'appartiens également, ne trouvait pas toujours sa place dans ce contexte. Cela ne signifie pas que l'enseignement ne peut être universel, mais qu'il est difficile, voire impossible, d'enseigner de manière authentique en dehors de son propre cadre de référence.
Conclusion
Enseigner est un acte profondément humain, enraciné dans l'histoire, la culture et les valeurs partagées. Pour un enseignant libanais, enseigner à l'étranger représente un défi considérable, car il ne s'agit pas seulement de transmettre des connaissances, mais aussi de modeler des esprits selon un cadre culturel spécifique. Mon expérience aux Émirats Arabes Unis, dans un système éducatif américain, a démontré les limites de cette entreprise et m'a confirmé dans l'idée que, pour véritablement toucher et éduquer les jeunes, il est essentiel de rester fidèle à son propre héritage culturel. En fin de compte, l'enseignement ne peut être dissocié de l'identité, et c'est dans cette vérité que réside la force, mais aussi la limite, de notre mission éducative.